Rues conviviales : est-ce que la COVID-19 favorisera la transformation des rues?
21 septembre 2020
21 septembre 2020
Voici quelques éléments à considérer pour ceux qui aspirent à modifier les rues de nos villes
Par Dan HemmeÌý±ð³Ù Anushree Nallapaneni
Notre société subit beaucoup de changements en raison de la pandémie de COVID-19, particulièrement dans la façon dont nous nous déplaçons et vivons en ville. Sans surprise, là où les effets se font sentir de manière plus importante, ce sont dans les quartiers très densément peuplés. Dans l’espoir de favoriser à la fois une vie plus saine et la distanciation physique, de nombreuses villes ont temporairement fermé certaines rues ou voies pour en faire des espaces à vocation récréative à proximité des citoyens.
Ces initiatives ont entraîné quelque chose de très intéressant. En modifiant la façon traditionnelle d’utiliser les rues, un changement de mentalité s’est opéré en temps réel. En relativement peu de temps, des villes ont annoncé des plans de fermeture permanente de certaines de ces « rues COVID-19 » pour créer de nouveaux lieux récréatifs et des corridors de mobilité, essentiellement des espaces communautaires linéaires, soit des espaces destinés aux gens. Seattle a pris la résolution de fermer de façon permanente 32 kilomètres de rues à la circulation automobile. Paris a fermé la Rue de Rivoli aux automobilistes durant la pandémie de COVID-19, et la mairesse Anne Hidalgo prévoit en fermer d’autres dans l’avenir. On constate que les rues des villes se transforment en très peu de temps en « espaces ».
Bien que les choses évoluent rapidement dans certains centres-villes, l’idée n’est pas nouvelle. Au cours des dernières années, deux des plus importantes approches urbanistiques ont été les et les , et à plusieurs égards, les fermetures de rues en période de COVID-19 sont le reflet de l’intérêt pour chacune de ces approches, mais pour des raisons qui diffèrent.
L’approche des rues conviviales vise à aménager des « rues pour tous », soit de soutenir des déplacements sécuritaires, peu importe le mode de déplacement (à pied, à vélo, en voiture ou en transport en commun) et peu importe l’âge et les conditions personnelles. Quant à la piétonnisation temporaire, elle consiste à fermer des rues à la circulation automobile, généralement une journée ou une fin de semaine, pour permettre aux gens de s’y promener librement, ce qui crée des lieux favorisant les rassemblements et la tenue d’événements pour la communauté. Ces deux approches privilégient des utilisations différentes des rues en mettant l’accent sur le déplacement des personnes, non seulement des véhicules. Elles nous aident à réfléchir aux rues à titre d’espaces urbains.
Bien que ces approches aient favorisé d’importants changements dans certaines villes, on arrive peut-être à une période charnière dans leur adoption. Le phénomène des fermetures de rues causées par l’actuelle pandémie peut contribuer à de nouvelles réflexions sur l’avenir des rues, alimentées par l’intérêt des citoyens et des instances gouvernementales proactives.
Pour qu’une révolution réussisse, il est essentiel de bien planifier. Pour ceux qui veulent favoriser la transformation des rues, voici quelques éléments importants à considérer.
Nul besoin de partir de zéro quand il est question de repenser différemment les rues de nos collectivités. Les études et travaux antérieurs sont un excellent point de départ.
Lorsque de nouvelles ¾±»åé±ð²õ sont envisagées pour les espaces publics, il est primordial de faciliter les échanges et la collaboration. Il ne faut pas promouvoir dès le départ des changements aux rues; il faut plutôt commencer par saisir les valeurs de la communauté, car celles-ci seront les bases guidant l’exploration des options. La transformation de voies de circulation en des espaces publics inclusifs est seulement l’expression de ces valeurs communautaires.
Si des mesures temporaires ont déjà été mises en place, il est possible que la participation communautaire ait été négligée en cours de processus dans le but d’accommoder en peu de temps d’autres usages. Mais cela ne signifie pas que tout est perdu. Les commentaires sur ces mesures temporaires peuvent devenir le point de départ d’un processus de consultation afin d’établir une solution plus durable, et cela peut se faire en temps réel.
La source des commentaires est tout aussi importante que le contenuÌý: il importe de prendre le temps d’impliquer les groupes et les organismes clés de la collectivité. Ceux-ci peuvent aider à favoriser la participation des résidents qui contribuent généralement peu à de tels exercices ou à les représenter dans le processus de planification. Il faut être conscient des contraintes de temps des personnes consultées. Dans la nouvelle réalité, la consultation peut prendre la forme de rencontres virtuelles, comme nous l’avons récemment fait dans de nombreuses villes.
La fermeture de rues aux véhicules jusqu’à tard en soirée en raison de la COVID-19 est une formidable occasion pour les citoyens d’expérimenter sur une base temporaire un usage différent, dont ils pourraient ensuite soutenir la mise en place permanente. Nous constatons la puissance de l’urbanisme tactique comme outil de mobilisation citoyenne.
Que voulons-nous dire par urbanisme tactique? Pour définir l’urbanisme tactique, songez à l’expression « voter avec ses pieds ». Formalisée par l’économiste Charles Tiebout, cette expression réfère à l’idée d’exprimer ses préférences au moyen de l’action. Les installations temporaires sont l’occasion d’expérimenter de nouvelles solutions, et lorsqu’elles sont utilisées par les cyclistes, les piétons et d’autres usagers, les citoyens expriment leur préférence pour la solution proposée. Dans les villes qui vivent des difficultés à s’adapter aux formes émergentes de mobilité, voilà une occasion d’obtenir des commentaires du public sur les nouvelles façons d’utiliser et de s’approprier les rues sans engager d’importantes ressources financières dans des travaux de construction.
Pour ceux qui veulent rapidement mettre en place des solutions innovantes, il sera nécessaire de recourir à des solutions temporaires. Le fait d’implanter une solution respectant les limites des trottoirs, de tenir compte de la localisation des services publics et d’autres facteurs et d’utiliser des matériaux temporaires permet de rapidement mettre en place de nouvelles conceptions et de recueillir des commentaires à une échelle humaine et en temps réel.
Certaines rues se prêtent mieux que d’autres à une fermeture pour des raisons pratiques, comme l’accessibilité, les besoins en matière d’investissements et de services publics, et plus encore. L’objectif est d’offrir un réseau de transport cohérent qui sert tous les usagers, qu’il s’agisse des services d’urgence, du transport en commun, des usagers commerciaux ou des citoyens.
Les véhicules d’urgence, la circulation de transit et les camions commerciaux ont des trajets établis et des besoins qui peuvent être compatibles avec certaines mesures d’apaisement de la circulation et de fermetures de rues, mais incompatibles avec d’autres. Les carrefours et les barrières de dérivation présentent des difficultés pour les véhicules de transport en commun et ceux à l’empattement long, comme les camions d’incendie. Des fermetures permanentes de rues sur des trajets empruntés par les véhicules d’urgence peuvent accroître les délais de réponse des services essentiels, particulièrement dans les réseaux routiers qui présentent des faiblesses sur le plan de la connectivité.
Les solutions de mobilité qui remettent en question le modèle traditionnel et dominant reposant sur la voiture augmentent de jour en jour, contribuant à faire progresser la transformation des voies de circulation en espaces publics. Les services de partage de vélo, notamment les vélos électriques et plus récemment les vélos sans borne, ont rendu les modes de transport alternatif accessibles à un plus grand nombre d’usagers. Récemment, un projet pilote de scooters électriques autonomes a été mis sur pied en Géorgie. L’émergence des technologies infonuagiques a propulsé la croissance des solutions connectées de mobilité qui viennent remettre en question l’aménagement des rues. Puisque la circulation est réduite en cette période de pandémie, les collectivités peuvent évaluer la capacité de leurs rues à accueillir ces nouvelles solutions de mobilité. Qui en sont les usagers typiques? Dans quelle mesure ces usagers sont-ils vulnérables aux véhicules plus lourds circulant à des vitesses plus élevées? Quelles sont les conséquences de ces nouvelles solutions sur les autres usagers plus vulnérables, et quels sont les endroits à risque de conflit d’usage? Les approches de rues conviviales et de piétonnisation temporaire tiennent compte de ces nouvelles solutions de mobilité et peuvent favoriser leur usage sécuritaire dans des rues repensées.
Les avantages de l’urbanisme tactique résident dans le fait que les nouveaux aménagements sont mis en place et permettent d’obtenir des rétroactions sur l’utilisation réelle. Mais ces informations précieuses seront perdues si les acteurs locaux ne sont pas préparés à les utiliser pour appuyer les futures prises de décision.
Dans les pratiques urbanistiques classiques, les commentaires sur les aménagements sont recueillis avant la mise en place, alors que c’est tout le contraire avec l’urbanisme tactique. Il faut s’assurer que les ressources sont en place pour saisir les données et les commentaires, et que les résidents savent où et comment fournir leurs commentaires. Le recours à des sites Web dédiés et à des personnes-ressources est un bon point de départ, auxquels peuvent s’ajouter les consultations au moyen de rencontres virtuelles et des médias sociaux, ce qui reflète la nouvelle réalité numérique imposée par la pandémie de COVID-19. Des outils d’analyse de sentiments des internautes sur les médias sociaux peuvent aussi servir à recueillir des données qualitatives concernant la perception du nouvel aménagement chez les citoyens qui l’utilisent. Gardez en tête que les données d’utilisation et de préférence sont très précieuses, mais seulement si elles sont effectivement recueillies et que l’on sait quoi en faire. Le temps est compté quand il s’agit de recueillir des données concernant des fermetures temporaires de rues.
Nul besoin de partir de zéro quand il est question de repenser différemment les rues de nos collectivités. La plupart des villes ont déjà réalisé de nombreuses études et consultations sur les moyens de les améliorer pour mieux répondre aux besoins de la collectivité. La consultation des travaux antérieurs est un excellent point de départ. Des interventions d’urbanisme tactique et de nouvelles initiatives de participation planifiées enrichiront le processus et maintiendront la dynamique.
La planification des immobilisations pour un chantier aussi important que la transformation des rues peut prendre des années. Alors que nous envisageons les rues de demain, les secteurs traditionnels de dépenses publiques, comme les travaux publics, le réseau d’égout pluvial, les services publics et les parcs, devront peut-être faire l’objet d’une approche très différente pour des rues qui seront en partie des espaces publics et des voies de circulation. Si nous voulons avoir une incidence réelle sur la façon d’utiliser les rues, nous devrons revoir notre approche en matière de décisions.
Le moment est idéal pour mettre en place des solutions novatrices et réfléchies en matière d’aménagement des rues. Il est impossible d’effectuer du jour au lendemain des changements partout dans les rues pour qu’elles répondent mieux aux besoins des citoyens, mais nous n’avons jamais été aussi près d’un tel projet structurant.
Traduction du blogue publié originalement sur le site Ideas de Â鶹´«Ã½.
Ìý
À propos des auteurs :
En tant que planificateur en transport, Dan accorde une place importante aux projets de mobilité et de rues conviviales, aux études relatives aux cyclistes et aux piétons ainsi qu’aux plans de transport à long terme pour une variété de clients.
Basée à Toronto, Anushree est une conceptrice urbaine et architecte qui possède d’excellentes aptitudes de conception et de visualisation. Elle montre un grand intérêt pour la conception axée sur la communauté, et elle puise tout autant sa motivation dans la planification que dans le travail d’équipe.